Les voleurs de temps
Je vous présente Marcel, conducteur de travaux en BTP. Marcel est perfectionniste et ambitieux. Il arrive très tôt le matin pour lancer le chantier et reste le soir après la tempête pour pouvoir enfin faire son travail. Marcel est tellement investi, qu’il prend tout en charge, même ce que l’organisation n’a pas prévu. Il s’applique et anticipe tout désagréments.
Sous la pression constante et la fatigue, Marcel ne peut plus s’empêcher de travailler. Il veut se montrer à la hauteur et performant. Marcel redouble d’efforts dans l’unique attente de gagner la confiance de son supérieur hiérarchique. Marcel est convaincu qu’« il faut travailler sans relâche ». Mais ce n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs. Il est comme en proie d’un acharnement frénétique. Les chantiers qui lui sont confiés sont nombreux et complexes. Les délais et les périodes de préparation sont de plus en plus courtes. Les marges de manœuvre imposées par les vigilances de sécurité et la réglementation sont très étroites. Son corps est en mode pilotage automatique alors que son mental s’acharne à trouver des solutions nuit et jour.
Marcel ne sait pas dire non. Il tente de faire plaisir et répond présent à chaque demande. Il est dévoué corps et âmes a son travail et néglige sa vie privée. « Quoi l’amour ? Pas encore, je n’ai ni le temps, ni la situation professionnelle pour y prétendre ». Marcel donne tout ce qu’il a pour tenir ces engagements. Tout à son enthousiasme, il ne compte pas ses heures et n’a pas le temps de prendre des rendez-vous médicaux.
Souvent en proie à la culpabilité, la honte gagne du terrain « Je n’arrive pas à finir ce qu’il faut en temps voulu ». Il monte la barre de plus en plus haut. Les réunions qu’on lui imposent sont longues et improductives. Il n’arrive plus à se reposer. Le sentiment d’insatisfaction et d’inutilité s’ajoutent aux mécontentements des clients ou des administrations. Face aux sollicitations constantes, il n’arrive plus à prendre de décisions et perd en lucidité. Autant dire que Marcel fonce tout droit dans un gros mur bien épais. Hélas, le syndrome d’épuisement s’installe insidieusement.
Le 23 septembre, Marcel se retrouve brutalement happé en plein élan et ne peut plus se lever, il est cloué au lit. Traversé par des tremblements, Marcel n’est plus capable de rien. Rappelez-vous, Marcel était ambitieux et perfectionniste.
Dans une économie qui en demande toujours plus, le travail vole notre temps. Il n’en reste plus pour en profiter comme des êtres humains. Ce sont nos vies qui s’envolent. Mais contrairement au jeu vidéo personne ne peut rejouer sa vie après un “Game over”. A nous de nous discipliner pour gagner la bataille des voleurs de temps. A nous de re-disposer de nos libertés de choix pour vivre à notre rythme. Une nouvelle philosophie doit re-naître … Il est nécessaire de se libérer du temps pour soi. Le temps vaut plus que de l’argent ou du pétrole. “Ne laissez jamais le temps au temps. Il en profite.”